Les mouchoirs rouges de CholetLes surplus des villages se déversant dans les bourgs devint bientôt tel que la moitié de leur population mendiait. Alors, les bourgs eux-mêmes refoulèrent ce déchet qui se retrouva sur les grands chemins menant aux chefs-lieux de canton. (…)
Bien accueillie là, chassée ailleurs, exploitée dans des travaux temporaires faits à bas prix, parfois pour leur simple nourriture, effrayante en raison de son nombre, cette population errante et mendiante finit par rencontrer les routes, ces routes dressées par la révolution, puis par l’Empire, contre les chemins creux ; ces routes qui venaient casser le bocage, l’empêchant de demeurer un sanctuaire impénétrable ; ces routes, tentacules de pieuvres dont la tête et le cœur se tenaient dans les villes ; ces routes imposaient la main-mise de l’urbain sur le rural, du citadin sur le paysan.
Ceux qui ne mourraient pas en chemin, ceux qui, trop vieux, ne se contentaient pas de s’sseoir sur le parvis d’une église et de tendre la main, finissaient donc, endigués par ces larges routes droites, par arriver à la Loire qu’ils n’osaient traverser, se souvenant confusement de la grande virée de galerne. Pourtant de l’autre côté du fleuve, arrivaient les rumeurs de la ville énorme : Nantes, où les Vendéens s’étaient cassés les dents en 93. Certains s’y aventuraient. D’autres obliquaient à l’est, vers Cholet, Angers. Ils y arrivaient en loques, prêts à accepter n’importe quel emploi, n’importe quel logis, parfaitement conditionnés pour peupler les nouvelles filatures, les chantiers de navires, prêts à s’insérer dans cette armée du travail qui se mettait en place dans les villes, formée de la vomissure de la paysannerie.