Anne-Marie Echard-Fournier« Prof », elle l’était, avec bonheur. Lorsqu’elle était au plus fort de l’angoisse, elle regardait ces jeunes passer devant elle pour entrer dans la classe. C’était un moment de bonheur. Certains la saluait d’un mot, d’un sourire, d’un clin d’œil, sans dévisser leur casquette, d’autres branchés à leurs baladeurs, levaient le pouce en signe de contentement ou dessinaient le V de la victoire, d’autres, encore, lui lançaient un regard triste, désabusé, ou hostile, voire obscène, jamais indifférent, sans prononcer un mot, quelques-uns baissaient les yeux, l’air détaché, ou dégoûté, mais levaient la main ou enlevaient leurs casquettes… « hello » (sans souffler les h!!!!) … « ça va ? », « m’dame », « bof », « grave », « fait beau », « tiptop »! … un soupir, un grognement, un haut-le-corps, en écho à la musique écoutée, un roulement d’épaules ou des hanches, le nombril à l’air, percé d’un anneau, la langue ou l’arcade sourcilière itou, le bras ou l’abdomen tatoués, la tignasse vert fluo ou rouge, selon les semaines et l’inspiration, ou serrée dans un bandana, ou le cheveu ras avec de longues mèches qui barraient le visage ou pendaient sur les yeux ou la nuque, le pantalon en bas des fesses, entaillé à plusieurs endroits, la mini-jupe « à ras le bonbon », les baskets pas lacés, énormes, qui leur donnaient une démarche de canard… Les filles comme les garçons. Au milieu de ce flot bigarré, extravagant, la foule des timides, des tendres, des classiques, des « taiseux », de ceux qui cherchent à se faire oublier plutôt que de remarquer, mais qui ont la même attente : se sentir singularisés, regardés, remarqués, tirés vers le haut. Vers le haut, toujours vers le haut, tous, leur façon de ses faire respecter.
Elle leur souriait toujours. Les voir la rendait heureuse.